J’aurais pu rester en Norvège et laisser Anne rentrer seule en France, mais je n’en avais pas envie.
2000 km en stop nous attendaient; du petit village d’Otta en Norvège à celui de Ceignes dans le département de l’Ain. Notre voyage en stop à l’aller m’avait tellement plu que j’avais vraiment envie de réitérer l’expérience pour le retour.
Ce matin là, il est environ 10 heures du matin lorsque nous nous dirigeons vers la station service du village d’Otta. Auparavant nous faisons un petit crochet dans une grande « boutique à tout », une dame y vend des vêtements, de la déco, de la laine, des couvertures, etc. Anne ne trouve pas mieux que de craquer pour une magnifique peau de renne. Je lui fais remarquer que lorsque l’on fait du stop ce n’est pas des plus pratique à transporter. Nous nous retrouvons au bord de la route avec nos deux énormes sacs à dos et un sac poubelle de 100 litres dans lequel est emballé son nouvel achat. Première difficulté : nous ne sommes pas seules à la station service : un couple d’ukrainiens est déjà là, pouce tendu et carton indiquant la direction d’Oslo en main. Cela fait deux heures qu’ils patientent. Jamais nous n’avons attendu autant pour que quelqu’un s’arrête. Nous nous installons derrière eux à 200m, nous comptons sur nos astuces pour être prises rapidement. Nous ne restons jamais statiques sur le bord de la route, nous avons le sourire, nous saluons chaque voiture avec un petit coucou de la main, la grande majorité des conducteurs nous répondent par un signe en retour. Nous esquissons aussi des pas de dance. Le but est d’attirer l’attention des gens et qu’ils pensent que nous sommes sympas ( ce qui est le cas ! ). Autre idée : entre Otta et Oslo il y a 300 km. Très peu de personnes sur la route feront ce trajet dans son intégralité aussi nous préférons indiquer des distances plus courtes, d’environ 50 km, sur notre carton. Ainsi les locaux nous prendrons plus facilement.
Finalement, au bout de 20 mm, une camionnette s’arrête. Les autres auto-stoppeurs installés devant nous sont toujours plantés là. Pourquoi nous et pas eux ? Pour toutes les raisons indiquées plus haut ou bien parce que nous sommes deux filles…
La journée s’étire en longueur. Nous sommes véhiculées par une dizaine de conducteurs. Chose étonnante : c’est une majorité de femmes seules au volant qui s’arrêtent. Nous aurons même droit à une jolie voiture décapotable rouge (ce ne fut pas une très bonne idée de monter dans cet engin, mais j’y reviendrai plus tard). Notre but de la journée est le port de Larvik. Nous y avons réservé notre billet de ferry pour le lendemain matin à 8h. Il est primordial que nous dormions dans cette ville pour ne pas rater notre bateau. Il est 21 h. Il ne nous reste plus que 20 km pour arriver à destination. Une voiture s’arrête. Une femme (encore) nous prend à son bord. Elle habite Larvick. Pendant le trajet elle s’inquiète de l’endroit où nous allons dormir. Nous lui expliquons que nous avons une tente et que si elle connait un endroit où nous pouvons nous poser nous en serions ravies. Hélas il n’y a pas de camping à Larvick. Le seul endroit possible est autour du port. Elle nous y emmène. L’endroit ne l’enchante pas vraiment: ce n’est qu’un immense chantier naval. Elle décide alors de nous inviter à dormir chez elle. Nous sommes un peu gênées, mais ravies. Nous entrons dans sa jolie maison. Nous montons à l’étage préparer notre lit. C’est à ce moment là que nous nous rendons compte que nous n’avons même pas fait les présentations, fou rire !
Annette nous accueille chez elle alors qu’elle est seule et que nous nous sommes rencontrées il y a à peine une heure. C’est extraordinaire de confiance ! Nous passons notre soirée à nous raconter nos voyages. Le lendemain Annette nous accompagne jusqu’au port. Merci pour cette belle rencontre.
Arrivées au Danemark, nous décidons de quitter rapidement le ferry et de nous poster devant la sortie des véhicules. Ils défilent devant nous. Beaucoup de conducteurs mais aucun ne s’arrête. Une dernière voiture s’extirpe des entrailles du bateau. Coup de chance, le conducteur nous prend à son bord et bonne nouvelle: il peut nous conduire jusqu’en Allemagne. Traverser le Danemark en une seule traite va nous faire gagner beaucoup de temps. Kurt est Norvégien. Il est militaire et va rejoindre sa famille en Hongrie. Comme à chaque fois Anne est à l’avant du véhicule. Pendant le voyage la plus grande partie de la conversation, avec Kurt, n’aura qu’un seul thème : sa voiture, une Tesla. Il n’aura de cesse de nous vanter les avantages de sa voiture électrique. D’ailleurs nous ferons plusieurs arrêts aux bornes de recharge gratuites dédiées à cette marque.
Apres la frontière allemande, nous ferons une longue pose dans une immense grande surface dédiée à la vente d’alcool. Je n’ai jamais vu autant de bouteilles dans un même endroit. Les prix sont super attractifs. Vers 22 h nos routes se séparent et Kurt à la gentillesse de nous déposer dans un hôtel près de l’autoroute. Le lit est bienvenu. je commence à avoir sérieusement mal au dos. Pendant la journée, assise à l’arrière de la voiture, je sentais une boule douloureuse dans le bas de mon dos mais ce soir la douleur s’intensifie. Je suis obligée de me tenir au mur pour marcher. Je me souviens alors de notre trajet en décapotable. Aucun doute, ma douleur vient de là. J’ai dû prendre froid dans cette satanée voiture.
Le lendemain au réveil la douleur est encore présente. J’angoisse. Dans cet état je suis incapable de porter mon sac à dos. Heureusement une douche très chaude et un anti douleur me soulagent.
Nous sommes au nord de l’Allemagne et si tout se passe bien nous devrions dormir ce soir dans un bon lit chez mes parents dans le Jura. Mais nous allons apprendre à nos dépends que lorsque l’on fait du stop on ne peut pas prévoir l’endroit où l’on passera la nuit prochaine.
La journée va suivre son cours. Plusieurs conducteurs vont avoir la gentillesse de nous prendre à leur bord. Nous allons de station service en station service. Nous faisons des poses pour nous restaurer. Nous montons dans toutes sortes de véhicules : du plus petit avec un chauffeur pas très prudent qui se faufile à toutes vitesses dans le trafic alors qu’un gros orage s’abat sur le bitume, à une voiture plus spacieuse et un conducteur attentif. Pour nous c’est à chaque fois une rencontre différente. Que dire de ce monsieur qui nous demande de nous méfier de ses compatriotes masculins qui sont, selon lui, indélicats avec les femmes ? Nous allons aussi monter dans la voiture d’un joueur de poker professionnel. Il rentre d’un tournoi où il vient de gagner quinze mille euros.
Bientôt, sur notre droite la France avec ses villages alsaciens apparaît alors qu’à notre gauche la forêt noire se dessine. Nous nous rapprochons de notre but. Une suissesse nous invite à monter dans sa superbe voiture équipée de confortables sièges en cuir. Elle rentre chez elle à Zurich. Elle nous propose de faire un petit détour et de nous déposer sur la première station sur l’autoroute qui mène à Lausanne, ce n’est pourtant pas vraiment sa route. Nous arrivons en Suisse à la nuit tombée. La station service où elle avait pensé nous déposer est en fait en dehors de l’autoroute et de plus elle est fermée et pour finir il pleut des cordes. Elle propose alors de continuer la route jusqu’à une autre station ce qui l’éloigne beaucoup de sa destination initiale. Finalement, elle nous laisse 50 km plus loin. Nous sommes un peu gênées par tant de générosité.
Nous sommes maintenant sur une station service à Lausanne. Il nous reste 141 km à parcourir soit environ 2 heures de route. Mais malheureusement nous n’avions absolument pas prévu que les stations services en Suisse sont fermées la nuit. Nous sommes bloquées là. Evidemment personne ne s’arrête. Il faut se rendre à l’évidence, nous allons être obligées de passer la nuit sur place. Pas de lit douillet mais la porte tourniquet du restaurant, fermé lui aussi, va nous servir d’abri. Anne y installe son matelas gonflable, s’y allonge et s’y endort presque aussitôt. Moi je vais passer ma nuit assise avec de courts endormissements.
Ce ne sera que le lendemain matin que nous rejoindrons enfin la France.
17 septembre 2018
Bonjour Christine,
Beau récit, beaux souvenirs;ta jeunesse s’est fossilisée sur toi, toujours intacte ad vitam æternam…
Laurent V.